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Le dernier voyage

L’escapade lointaine que je m’apprête à entreprendre ne me ressemble pas.

Alors, pourquoi mon regard est-il obnubilé par cette lumière qui me provoque et m’envoie cette merveilleuse ligne d’horizon qui absorbe tout mon être. Je ne veux pas partir, mais toi, pourquoi as-tu pactisé avec le diable ? N’étais-je pas assez bien pour toi ? Le monde est-il plus beau par-delà cette étendue d’eau ? Vivre sans toi est un défi quotidien que je n’arrive plus à surmonter, auquel j’ai besoin de mettre un terme en me rapprochant de toi. Je sens l’eau lécher mes pieds. Quelle sensation surprenante. Le sable s’insinue discrètement entre mes orteils, en même temps que la mer qui, par vagues, arrive rapidement au niveau de mes genoux. Je soulève ma robe. C’est ridicule. D’ici quelques instants, elle sera entièrement immergée. C’est mon choix, ma vie. Pourquoi ne pourrais-je pas, à mon tour, rencontrer ton ange de la mort ? Celui-là même qui t’a conduit loin de moi. Je veux aussi faire partie de la fête, être parmi les élus.

D’un pas lent, j’enfonce mes pieds dans le sable déjà complètement recouvert. Je sens la joie monter en moi à l’idée de te rejoindre. Je ne veux personne d’autre. La vie sans toi, c’est le vide, le néant. Nous avions décidé de rester ensemble à la vie à la mort. Tu as fait le second choix. Alors il en sera de même pour moi. Cette ultime escapade, le voyage de noce que nous avions toujours reportée, le voici. Il n’aura pas le même goût mais qu’importe, nous nous retrouverons par-delà le sommeil éternel.

Ma robe se prend dans le courant des vagues qui la soulèvent au gré des mouvements de l’eau. Étonnamment, je n’ai pas froid, je ne ressens aucun frisson. En fait, je me sens bien, dans une sorte de béatitude qui me conduit délicatement jusqu’à la quiétude et une sérénité qui me va à merveille. Le soleil couchant rafraîchit l’atmosphère tandis que je continue ma descente dans les abîmes. À présent, je retire ma robe. Elle me gêne. Elle m’empêche d’avancer alors que la pression de la mer commence à se faire ressentir. Elle ne veut pas de moi, elle veut que je rebrousse chemin et que je retourne à ma vie monotone sans toi. En suis-je capable ? Est-ce toi qui lui intime l’ordre de me repousser vers le rivage ? Tu ne veux plus de moi, c’est ça ? Je ne suis pas digne de transgresser cette merveilleuse ligne d’horizon ?

Je m’arrête. Je ferme les yeux et j’attends un signe, un message. Quelque chose à quoi me retenir. Jusqu’à ce qu’une gigantesque vague emporte mon corps et le ramène jusqu’à la plage, celle-là même où un homme est venu me sauver de la noyade. Il est apparu, comme par enchantement. Dois-je remercier le mari qui m’a abandonnée ou le destin qui l’a mis sur ma route ? Je ne sais pas. Je savoure le bonheur de retrouver un amour extraordinaire et, aujourd’hui encore, je profite de chaque instant. Au plus profond de moi, je sais que c’est toi qui as mis un terme à cette lointaine escapade pour me faire revenir à la réalité et connaître à nouveau les frémissements de l’amour.

 

Larème Debbah

Larème Debbah est née à Bruxelles en 1972 et vit actuellement dans la campagne tournaisienne. Pour elle, l’écriture est une échappatoire, un exutoire, une thérapie qui lui donne la force et l’envie de se battre contre la maladie, une sournoise qui pollue son quotidien… la sclérose en plaques. À ce jour, elle a 12 romans à son actif, des tranches de vie, des drames et des thrillers psychologiques.

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